mardi 30 juin 2009

Fin du voyage

Souvent, pendant le voyage, une petite chansonnette m’est revenue en mémoire et sur les lèvres :

Dans la plaine les Baladins
S’éloignent au long des jardins
Devant l’huis des auberges grises
Par les villages sans églises
Et les enfants s’en vont devant
Les autres suivent en rêvant
Chaque arbre fruitier se résigne
Quand de très loin ils lui font signe.
Ils ont des poids ronds ou carrés
Des tambours des cerceaux dorés
L’ours et le singe animaux sages
Quêtent des sous sur leur passage

Appolinaire


D’autres ballades viendront bientôt rythmer les balades du Baladin.

Samedi 5 Juillet 2003



Départ au petit matin (7h15), après quelques vérifications sur le moteur. Demi tour dans l’écluse, et en route. Comme la Saône est belle au petit matin. Passage rapide dans l’écluse d’Ormes, aujourd’hui la Saône ne manque pas d’eau. Un gros nuage me suit en restant au dessus de ma tête une bonne partie de la journée. Passage à Tournus où beaucoup de bateaux sont en stationnement, puis Mâcon, aujourd’hui dernier jour, j’avale des Kilomètres. Je prépare mon repas en naviguant au milieu de la Saône. Salade et riz créole. Après Villefranche sur Saône, beaucoup de petits bateaux de week-end. Ils sont un peu pénibles avec leurs vagues et leurs imprudences. Mais c’est joli, c’est vivant. Toujours en navigant, je mets de l’ordre dans le bateau. Je me rase, un brin de toilette, il faut que tout soit impeccable pour l’arrivée. Annie me téléphone, elle a un grand dilemme : venir me chercher à Albigny, ou aller faire les soldes aux Galeries Lafayette. Elle vient à Albigny. Ma place habituelle est prise, malgré mon appel téléphonique d’hier. Pas très fiable, dommage. Je rentre sur un autre ponton moins confortable. Amarrage, bise à Annie, je suis très heureux de la retrouver. Ma chienne Julie est là. Poignée de main à Guy, le capitaine du port. Tirette d’arrêt moteur. Contact coupé Fin. Je n’arrive pas à penser, il faut décanter. Repas de moules frites au port. Retour à la maison. L’aventure est bouclée, le quotidien est là.

Vendredi 4 Juillet 2003



Départ à 7h30 de Saint Jean de Losne. Chrissie & Barry sont debout pour un good bye très amical, the last hello ! Une dernière bise et je lâche les cordes. Quelques waves avec les mains, virage. La complicité de 10 jours est finie, je suis triste et je suis convaincu qu’ils sont tristes aussi. Passage du pont qui délimite le port, le canal de Bourgogne est à droite, la Saône en face. Je file, je suis heureux de la retrouver. Le ciel est chargé, la météo annonce encore quelques orages. Aujourd’hui j’en prendrai 2 sur la tête, violents, impressionnants. Je vérifie l’étanchéité de la bâche, je garde le cap, que faire d’autre ? Attente de une heure à l’écluse de Seurre, de une demi heure à celle d’Écuelle. C’est parait-il pour économiser l’eau de la Saône. J’ai l’impression d’être en punition. Afin de rester pragmatique, je profite de ce temps pour me cuisiner un bœuf cornichons moutarde. Délicieux ! Vers Chalon, je croise un autre Baladin qui remonte la Saône. Il est immatriculé à Rouen et son pilote est hilare de cette rencontre. Repas à Gergy où le ponton est occupé par trois gros bateaux. J’amarre à couple sur le bateau d’un couple de nancéens. À la fin du repas, la dame m’apporte du café et vient discuter un moment. Ils descendent dans le midi pour y passer l’hiver. Arrivée en fin d’après midi à l’ancienne écluse de Gigny. Plongée sous le bateau pour dégager des herbes prises autour de l’hélice. Douche, repas, dodo. La journée a été longue : Presque 9 heures de navigation.

Jeudi 3 juillet 2003


Sous un ciel gris pâle, départ de Dijon pour Saint Jean de Losne. Sur la carte, c’est une ligne droite. La météo sera toute la journée conforme aux prévisions : variable. Tantôt un peu de soleil, tantôt des orages. Les éclusiers étant partis en vacances, ce sont des étudiants qui ont pris le relais, et c’est aujourd’hui le premier jour actif de leur job d’été. Ils sont sympathiques, et essaient de bien faire leur travail. Plus tard, ils seront médecin, mécanicien ou juriste. La navigation fluviale est une recherche de calme et de sérénité. Par esprit de contradiction, mais surtout pour être à l’abri de l’orage qui menace, nous amarrons pour le déjeuner sous le pont de l’autoroute ! Nous reprenons vite notre route sur ce trait gravé dans la campagne. Le passage récent d’une péniche a dégagé beaucoup d’herbes. À cela s’ajoute la taille des berges qui est rejetée dans l’eau. L’hélice n’apprécie pas particulièrement tout cet encombrement. Sous les orages, Barry & Chrissie restent debout, stoïques, trempés. Ça force l’admiration. Les écluses se décomptent, la 74, la 75.Le canal s’élargit, beaucoup de péniches sont stationnées là, peuvent-elles nous raconter leur histoire ? Écluse 76. Fin du voyage sur ce merveilleux canal de Bourgogne. Sentiment mélangé de soulagement, de fierté, d’envie de recommencer. Petit tour sur la Saône pour faire le plein et amarrage dans le grand port de Saint Jean de Losne, à coté du Spica. Un grand yacht anglais est à coté, ils nous invitent à prendre un verre. En fait nous en prendrons plusieurs, car lorsque les anglais boivent du vin de France, c’est dans des verres à jus de fruit, et ils renouvellent régulièrement la consommation. On parle de navigation, de l’usage des langues, de vin, on blague. Lorsque je les quitte, mon anglais est aussi fluide que le Mâcon rouge. Le deuxième flot aidant le premier. Douche, repas rapide, la nuit tombe. Soirée à bord du Spica, discussion, nous sommes sincèrement triste de nous séparer.

Mercredi 2 juillet 2003

Ce matin c’est la panne, les jambes, les bras, l’énergie est absente. Au téléphone Annie de conseille de rester. Je reste. Repos + repos + casse croûte, demain sera un autre jour.

Mardi 1 juillet 2003

Le réveil est difficile, la nuit a été courte. Départ à 9h45. La fatigue se fait sentir dans les bras et les jambes. La promenade du jour consiste à rejoindre Dijon par une succession de 13 écluses. Le paysage est toujours aussi agréable, avec une alternance de
soleil et de pluie. Déjeuner avec un amarrage de mauvaise qualité avant l’écluse 48. à 13h l’éclusier n’est pas au rendez vous, avec Chrissie nous exécutons les manœuvres d’éclusage et nous poursuivons notre route en riant. Ensuite jusqu’à Dijon, les éclusiers et les éclusières, presque tous des jeunes, se synchronisent bien avec leur VHF (je les écoute sur la mienne). Ils nous rendent les passages agréables, efficaces et souriants. Le chef d’ici manage bien ses troupes. Amarrage un peu choquant pour la coque du Baladin au port de Dijon. Un coup de vent fripon est venu le détourner de sa trajectoire. Nous sommes juste derrière l’île aux canards, réserve pour une collection importante de palmipèdes. L’après midi balade en ville avec Chrissie & Barry, je sert d’interprète pour leurs achats. Au royaume des anglophones les baragouineurs sont rois ! Repas tous les trois dans une brasserie, retour et dodo bateau.

Lundi 30 juin 2003


Départ en douceur du port, un peu à regret. Le ciel est couvert ce matin et la chaleur est tombée. Nous entrons dans la partie sud- nord de la vallée d’Ouche. Le paysage est encaissé, très boisé. Dommage, la lumière manque pour lui donner tout son éclat. Combien de bourguignons ont couru le monde pour aller voir des paysages moins beaux que ceux qu’ils ont au fond de leur vallée. Le canal passe le long de villages indifférents, pas de ponton, pas d’accueil. Certains éclusiers sont très cordiaux, d’autres indifférents. J’ai remarqué que les premiers ont des écluses bien décorées et fleuries. Est-ce la beauté qui leur donne de la gentillesse, ou leur gentillesse qui leur donne le plaisir de bien décorer leur environnement. L’après midi nous naviguons sous la pluie, je reste à l’abri sous la bâche du Baladin. Les anglais sont debout, sous la pluie, sur leur bateau. C’est vraiment très british ! Les écluses se succèdent sans grande passion jusqu’à Fleurey sur Ouche. Il pleut, c’est dommage et désagréable, ça casse le moral. Les gens chez qui nous avons séjournés lors de notre week-end entre amis de mi juin viennent nous chercher. Jean Claude nous conduit à Plombière. Accueil de Colette, rencontre de deux femmes qui séjournent dans leur gite d’étape. L’une est suisse, l’autre uruguayenne. Dîner de gala concocté avec talent par Colette. J’ai oublié de prendre les anglais en photo lorsqu’ils ont essayé de manger des escargots à la bourguignonne. Leurs visages reflétaient l’inquiétude. Ils ont mâchouillé un pauvre gastéropode par courtoisie et l’on avalé d’un coup ! Ils auront cela à raconter at home pendant l’hiver. Beaucoup de bavardages en français, en anglais, avec des gestes et beaucoup d’éclats de rire. C’est fantastique toutes ces rencontres. Bises et retour au bateau. Merci encore.

Dimanche 29 juin 2003


Réveil ensoleillé à bord, du baladin il fait déjà chaud. Cette descente ne pose pas de problèmes, paysages bucoliques, dans une courbe le canal s’appuie sur le pied d’une falaise. Au début les éclusiers nous font attendre un peu, mais petit à petit cela s’organise et quand nous arrivons, les écluses sont prêtes. Arrivée au beau port de Pont d’Ouche où nous sommes accueillis très gentiment par le potier gardien du port. Vin blanc de l’amitié, bavardage sympathique pendant que Olivier avec son vélo est reparti chercher sa voiture. Déjeuner sur l’herbe à l’ombre d’un saule pleureur qui n’a vraiment aucune raison d’être triste. Cécile & Olivier semblent ravis d’être là, Chrissie & Barry viennent se joindre à mous. La langue anglaise qui nous sert de support à notre conversation a de quoi faire frémir un linguiste shakespearien, mais notre communication est très efficace. L’après midi, Olivier nous emmène faire un tour sur le petit train à vapeur touristique de Bligny. Teuf teuf dans la campagne. Longue baignade au retour dans le port et dans le canal. C’est la première fois que je nage sur un pont. C’est celui qui permet au canal de passer par-dessus la rivière Ouche. Planification avec les anglais pour les jours à venir. Dans trois jour nous arriverons sur la Saône, ils tourneront à gauche, moi à droite. Olivier & Cécile reprennent la route, ils sont contents de cette escapade. Cela a été un bon moment pour moi aussi. En soirée, Barry vient me chercher pour aller prendre des pintes de bière au pub tenu par Freddie, une very typique irlandaise rousse, exilée par amour en Bourgogne. Ce n’est pas loin du port et je rentre un peu pompette, mais comme boire ou conduire, il faut choisir. Je fais le choix d’aller dormir. Bonne nuit !

Samedi 28 juin 2003

La matinée commence par une balade au soleil autour du port. Je vais voir un vieux toueur conservé sous un toit de plastique. J’imagine le bruit et le travail sur ce type d’engin. Je parle de cela avec un vieux pêcheur qui se souvient des péniches tirées par les chevaux. Impression d’histoire ancienne, alors que ce monsieur n’a que 10 à 15 ans de plus que moi. Avec Barry nous allons à notre rendez vous à l’écluse 1Y pour récupérer notre laisser passer pour parcourir le tunnel. L’éclusier nous fait les recommandations de sécurité et nous demande de bien respecter l’heure de départ annoncée. Voilà, c’est parti, nous quittons le versant atlantique. En quittant le port, la navigation commence par une longue tranchée, belle étroite, protectrice. À l’entrée du tunnel, une famille me fait des signes de la main, une sorte d’au revoir. J’ai installé un projecteur à l’avant du bateau, je l’éclaire, je rentre dans le noir. Le tunnel de Pouilly en Auxois est un demi cylindre de 6 mètres de large environ, de 3333 mètres de longueur, sans éclairage propre. C’est impressionnant de naviguer sous terre. Des petites stalactites
décorent le plafond, c’est beau. Le petit point blanc au milieu du noir, c’est la destination, c’est le versant Saône. Le ronronnement du moteur, le clapotis de l’eau, tous ces bruits accompagnent et rythmes un sorte de continuum où le moindre changement provoque une petite inquiétude. Le point blanc grossit, déjà presque une demi heure que je glisse dans le noir. J’accélère pour arriver plus vite, aussitôt je ralenti pour faire durer le plaisir. 50 mètres avant la sortie, j’arrête pour prendre une photo. Lumière ! Je suis coté Saône. De nouveau une tranchée. Sur la tranchée un pont. Sur le pont une voiture. Dans la voiture Olivier et Cécile. Il est des rendez vous qui sont parfaits. Arrivée dans le grand bassin d’Escommes, j’amarre, les anglais amarrent à coté, Olivier et Cécile sortent de leur voiture, bisous de retrouvailles. Ce sont des moments comme ceux-ci où l’on a l’impression de n’avoir aucun
problème. Apéritif à bord avec Chrissie & Barry, présentations, on bavarde, on rigole. Balade digestive à pieds vers l’écluse 1S. Dans un bassin, un bac servant à transporter des péniches gît et meurt dans l’indifférence. Descente tranquille de l’échelle d’écluses, on se laisse bercer entre les rangées d’arbres et les maisons éclusière, généralement bien fleuries. Ce n’est pas le même chef sur ce versant. Olivier se démène avec les amarrages, je suis bien avec eux, dommage que
Marianne et Frank ne soient pas avec nous. Arrivée au magnifique port de Vandenesse. Là un fou comme je les aime, a créé des personnages sorte de mannequins de grillage et de vieux vêtements en situation dans un jardin particulièrement bien fleuri sur la rive du canal. Bravo ! car créer de la beauté pour les autres est un cadeau universel Je glisse le Baladin entre deux péniches, les anglais glissent le Spica entre deux autres. Un mariage fait des photos sur le port, vive les mariés ! Promenade dans le petit village, ici manifestement ils utilisent le canal comme attrait touristique. Restaurant gastronomique le soir. Oh que c’est bon !

jeudi 20 décembre 2007

Vendredi 27 juin 2003



Réveil difficile, les pieds me font mal, tendinites dans tous les coins. Ils sont fortement sollicités. Massage anti-inflammatoires + paracétamol + mouvements pour échauffer les muscles vieillissants et c’est reparti. Une première écluse avec un éclusier fixe sympathique et jovial. Son écluse est bien décorée et très fleurie. C’est vrai que pour l’arrosage, l’eau n’est pas loin. Passage de la tranchée de Creuzot, impressionnant. Les souches des arbres sont très hautes au dessus de nos têtes, je ne vois qu’une bande de ciel gris. Je me sens tout petit dans cette nature. Quel beau patrimoine pour les Bourguignons. Puis LE bief de 10 kilomètres. Plusieurs plaisanciers nous l’avaient prédit : dégueulasse, plein d’herbes. Bon, d’accord, il y a beaucoup d’herbes sur les bords. Mais en naviguant calmement au milieu, ça passe quand même très bien. J’imagine un bateau mixer qui passerai toutes les semaines pour nettoyer ces herbes qui aiment bien s’enrouler autour des hélices. Ce long bief est calme et serein, image même du canal de Bourgogne. Nous passons discrètement le long des villages et nous rejoignons le bord de l’autoroute A6. si le canal est peu visible de l’autoroute, l’autoroute est très visible du canal, quel contraste. Nous voilà arrivé à la dernière échelle d’écluses montantes, 11 en 6 kilomètres. Nous sommes aujourd’hui accompagnés par deux éclusiers accompagnateurs sympathiques et compétents. Leur souci est que tout se passe bien pour nous. Merci de refleurir l’image que j’ai du personnel de ce canal. Le canal est en ligne droite, les écluses sont à commandes électriques, donc pas de manivelles à tourner, le travail est beaucoup plus facile pour eux. En fait elles sont automatisées, mais depuis leur mise en place, aucun technicien n’a été capable de faire fonctionner l’automatisme. Tel que cela est présenté, ça fait une touche supplémentaire sur le ridicule de la gestion de ce canal. Les mêmes systèmes fonctionnent bien sur d’autres canaux ! Sur la porte de la maison éclusière, nous pouvons lire : « écluse n° 1 versant Yonne ». Quel bonheur ! Nous retenons la vitesse de nos bateaux pour aborder dans ce grand plan d’eau du port de Pouilly en Auxois. Nous sommes sur le toit du canal, et seulement un petit bateau est là en plus du bateau touristique. Les pêcheurs nous dirons que le canal chez eux est presque abandonné par les plaisanciers. Pour fêter cette arrivée : sieste, courses en ville car demain j’ai des passagers, baignade dans le port, douche, cuisine, la belle vie !

Jeudi 26 juin 2003




On continue notre montée, les anglais devant, passez les premiers messieurs les anglais. En fait Chrissie qui grimpe à l'échelle comme un écureuil attrape mes cordes, les passe derrière le bollard, et me les envoie. Cela me simplifie beaucoup la vie, et m'évite de la fatigue. En contrepartie je leur sers d'interprète et éventuellement de guide touristique. Nous avons droit à plusieurs passages en fossé. Le canal est taillé dans un flanc de colline. Deux biefs de 2,4 et de 3 kilomètres nous semblent très longs, les bras et les jambes se relaxent un petit peu. L'accompagnateur du jour n'est vraiment pas souriant. Ça le gonfle vraiment d'avoir à guider des bateaux. Quoi qu'il en soit il aura sa paye à la fin du mois. Fonctionnaires, quand vous n'êtes que ça, ce n'est vraiment pas grand-chose. Quelle image pour les étrangers ! Plusieurs m’on dit qu’ils avaient parfois l’impression de déranger le personnel VNF. Compte tenu que les berges ne sont pas accessibles, nous amarrons pour le déjeuner contre une barge défoncée. Le fond du Baladin touche un peu les cailloux, et le Spica qui a plus de tirant d’eau doit s’amarrer à couple. Nous n’avons pas pu rester en sécurité dans l’écluse parce que le chef ne veut pas. Un chef stupide change complètement la vision que l’on peut avoir de ce canal. En 1968 j’aurai dit : Changeons le chef ! 35 ans ont passés. Des algues s’enroulent un peu sur l’hélice, cela m’inquiète un peu, mais ce n’est pas trop important. Arrivée pour la soirée à Pont Royal, très grand port où il n’y a que nous. C’est beau, c’est triste. On a l’impression d’un canal moribond, alors qu’il est si beau. En fait ce sont ceux qui le gèrent qui le font ressembler à une nature morte. Soirée au restaurant, simple avec Chrissie & Barry. Ils me font part de leurs impressions, ce sont les mêmes que les miennes. En rentrant, ils décourageront peut-être 10 bateaux de venir sur ce canal. Nous sommes les seuls clients. Avec eux la discussion peut être légère, mais jamais banale. Nous parlons de la vie, de nos bonheurs de nos tristesses, de la guerre qui est un sujet d’actualité très présent pour cet été. Ces anglais m’étonnent, je les apprécie beaucoup.

Mercredi 25 juin 2003



C'est au pied de l'échelle d'écluses que l'on voit le marinier. Les écluses se succèdent tous les 400 mètres. Le paysage change, varie, se recompose. Merveilleux canal. Mon accompagnatrice est là dès 9h00. Son objectif est de me faire passer 20 écluses. Mon objectif est d'arriver à Marigny. C'est difficile de dialoguer quand on n'a pas la même nature d'objectif. Le client, elle s'en fout. C'est le problème majeur de ce canal. Une gestion stupide par des gens qui sont peu compétents. Les éclusiers qui accompagnent ne savent pas ce que c'est un bateau, ni comment les cordes doivent être mises pour un amarrage dans une écluse. Un travail important d'équipement semble être mis en oeuvre sur ce canal. Mais la compétence et la courtoisie sont vraiment un manque majeur sur ce merveilleux canal. Ce canal, c'est un plat succulent, dans un restaurant distingué servi par des gens négligés. Quelle différence avec l'attitude des éclusiers du canal Saône Marne. Arrivée à Marigny où les anglais me rejoignent. Ils s'appellent Chrissie et Barry et viennent de Barkley, village au nord de Oxford. Balade dans le village, double tournée de bière dans le pub local, voilà de nouveaux amis. Discussion tardive sur le gazon avec un couple de Seurre dont le bateau est en panne. C'est ça la vie solitaire.

Mardi 24 juin 2003


Pas de douche ce matin car la dame de Nicols a oublié de me laisser la clef. Heureusement, pour elle, elle à pensé à me faire payer. Bavardage matinal avec le pêcheur de brèmes, puis départ. Arrêt au bout de 1 minute et 30 secondes, car l’écluse qui devait être prête est en train de descendre un gros anglais. À l’écluse suivante, un petit bateau, un voilier sans mât me rejoint et nous faisons route ensemble. Un couple d’anglais à peine moins âgés que moi, ils sont plutôt sympathiques. Déjeuner calme au "port" des Granges sous Grignon ou un autre anglais stationne. Il y a là quelques vieilles maisons plutôt bien retapées, et le port semble être la cour de ces maisons. Reprise de la route à 13h00 jusqu'à l'écluse 55 où une accompagnatrice me prend en charge. Les anglais, eux préfèrent s'arrêter à Venarey les Laumes parce que le guide indique douches et qu'ils sont fatigués. Je continue seul avec mon accompagnatrice. Pas de quoi faire des rêves torrides ! Ainsi je rentre dans la triple chaîne d'écluses de Pouillenay, de Chassey, de Marigny. C'est environ 40 écluses sur 13 kilomètres, avec à chaque fois : arrêter le bateau, s'attacher, tenir et guider le bateau pendant la montée, repartir, recommencer. C'est infernal, c'est impressionnant par le décor, par l'ambiance, par le peu de distance parcourue, par la lenteur, par la fatigue que cela engendre quand on est seul. Mais c'est de cela que j'avais rêvé en lisant les guides de navigation. C'est cela que je suis venu chercher. Au moment où je suis là mes sensations sont bizarres. Beauté de la campagne faite de prairies, de champs et de zones boisées. Énergie et attention constamment soutenue par les manœuvres qu'il faut toujours recommencer.
Rêve ou réalité ? Mais un rêve qu'on réalise, est-il encore un rêve ? Arrivée à Pouillenay, je garde les autres écluses pour demain et après demain, j'arrête. Le port est grand et j'imagine l'époque où les péniches passaient la nuit ici. Mon bateau est bien petit dans ce port vide. En cette fin de journée d'été des enfants jouent et se baigne dans le port. Je leur permets de se servir de l'échelle du Baladin pour remonter et replonger, ils en sont tout heureux. Une petite fille vient m'offrir un gâteau de son goûter pour me remercier. Je ne prends pas le gâteau, mais je garde le sourire. Une autre gamine, plus grande me fait rire car elle a la voix d'Arletty. Atmosphère.

Lundi 23 juin 2003

Après une longue discussion avec moi-même. Grâce à la grande estime que je me porte. Avec une négociation délicate et fortement argumentée. Aujourd’hui je ne fais rien. Le bateau ne bouge pas, moi non plus.

Dimanche 22 juin 2003

Départ de Lézinnes vers 8h45 dans les sinuosités du canal. Les 4 écluses suivantes ont été automatisées. Plus exactement auto gérées. Je rentre dans l’écluse, je grimpe à l’échelle avec mes deux cordes. En haut, avec une main je tiens la corde avant, avec l’autre je tiens la corde arrière et avec la troisième je maintiens le bouton appuyé pendant la durée de l’éclusage. C’est simple, il fallait y penser. L’avantage de ce système est bien sûr que l’on n’a pas à attendre la disponibilité de l’éclusier. À l’écluse d’Argenteuil une péniche habitée par des canadiens (Vancouver & Calgary), est en panne de moteur dans l’écluse. Nous sortons des cordages, et, à l’ancienne, nous halons la péniche en arrière pour l’amarrer sur la rive. Puis avec l’aide amicale des habitants de la maison éclusière (des hollandais), passage de l’écluse. C’est un autre avantage de l’automatisation des écluses, cela permet à VNF de vendre les maisons éclusières. Les biefs suivants sont réglés très bas, ce qui est un peu inquiétant car le sondeur sonne de temps en temps. Cette baisse de niveau donne aussi de la laideur au canal car elle laisse apparaître les berges détruites et sans végétation. Cet après midi j’ai souvent la chance de trouver les écluses ouvertes. Lorsque ce n’est pas le cas, debout sur le Baladin, je pousse un tonitruant : « Ohé éclusier ! ». À l’attente d’ouverture d’une écluse, mon cri de liaison a eu des conséquences très fâcheuses pour un câlin en pleine nature. Une sorte de débandade ! Mon arrivée avait été trop discrète. Pause en fin de journée à Montbard. Amarrage au ponton de Nicols, célèbre loueur de bateaux. Personne dans les environs, mais de l’eau et de l’électricité. Grosse fatigue ce soir, soignée avec une douche sous le jet d’eau qui s’avère être d’un stupéfiant bienfait. Soirée en ville, avec une bonne pizza pour reconstituer des réserves. Enfin ici le téléphone passe, et cela fait beaucoup de plaisir d’avoir des nouvelles et de bavarder un peu. Le parcours de cette journée avec ses 20 écluses a été superbe sous un soleil de plomb. Le paysage change constamment de nature, et malgré la vitesse très lente, il n’y a pas un instant d’ennui. Comme nous sommes dimanche, les bateaux loués à Montbard entamaient leur descente avec des trajectoires parfois fortement aléatoires. Des souvenirs pas très lointains me reviennent en mémoire. Mais je suis très prudent pour les croisements, car le bateau que je pilote aujourd’hui, c’est MON bateau.

Samedi 21 juin 2003

Départ discret de ce petit coin de campagne vers 9h00. Sur les autres bateaux tout est encore calme, ils doivent déguster une grasse matinée. Voyage tranquille, ce canal est merveilleux. Je le redirais encore souvent sans doutes. Les sentiments que l’on ressent sont difficiles à exprimer. On est attaché à la nature toute proche, à chaque instant le regard se pose sur quelque chose de nouveau avec des transitions toutes en douceur. L’esprit est en apesanteur, on a l’impression de flotter. Ce qui est rassurant quand on est en bateau. Dans cette section, il y a beaucoup de travaux sur les rives. Mais il reste le curage car le niveau est déjà bas (-20 à -30 centimètres par rapport au niveau normal). Nous voulons le soleil dessus et l’eau dessous ! Passage à Tonnerre, là encore de vieux souvenirs professionnels. L’usine Thomson pour qui je travaillais est fermée, et un atelier sert de fabrique de parquet. Quel dommage, quel gâchis. Déjeuner dans l’écluse de Tonnerre où j’ai dérangé l’éclusière qui avait sans doute beaucoup d’autres choses à faire que de faire passer les bateaux. La balade se poursuit dans un paysage vallonné, il est agrémenté de beaucoup de passage d’écluse. C’est ça le bonheur du marinier. Parfois 10 minutes suffisent pour passer l’écluse, parfois ½ heure ou ¾ heures sont nécessaires pour que l’éclusier s’aperçoive qu’il a son travail à faire. On ne peut pas bricoler dans son garage et surveiller le passage des bateaux. Arrivée à Lézinnes, passage de l’écluse, le port est juste après. Il est grand, il n’y a que moi. Les anneaux sont cassés et il n’y a plus d’eau potable. Un indigène m’explique que c’est parce qu’il n’y a pas assez de bateaux qui s’arrêtent. Je lui explique que si les bateaux ne s’arrêtent pas c’est parce qu’il n’y a rien pour les accueillir. Encore beaucoup à faire pour développer ce canal, et pas seulement des travaux. Je suis seul ce soir, ici le téléphone ne passe pas. Mais c’est aussi cette solitude que je suis venu chercher. Comment vais-je en sortir ?

mercredi 19 décembre 2007

Vendredi 20 juin 2003

Ce jour là, à 6h30 le ciel était très bleu sur Joigny. À 7h15, il était tout gris, plein de nuages. Ils ne se ont dissipés que progressivement vers 11h00. Le ciel était d’un bleu parfaitement pur en fin de journée.



Départ vers 9h00, tranquille passage des deux dernières écluses de l’Yonne. Deux autres bateaux m’accompagnent. Je les attends car ils naviguent très lentement. Ils doivent déguster le paysage comme un élixir de longue vie. L’Yonne fait une large courbe sur la droite, et je profite de ce détour pour l’abandonner. J’ai beaucoup apprécié cette rivière, imposante et calme à la beauté naturelle. J’embouque le canal de Bourgogne avec ses 189 écluses, c’est une toute autre expérience qui m’attend après cette jonction. La première écluse fait 5,5 mètres de haut, et mes cordes sont à peine assez longues pour tenir le bateau. Puis maintenant les écluses
se succèdent avec beaucoup de plaisanciers. Nous sommes dans une des rares zones d’activité de location sur ce canal. J’écluse plusieurs fois avec une pénichette privée qui fait le parcours complet. En fait nous sommes assez peu nombreux à le faire. Déjeuner à Esnon où des piquets sur la rive nous permettent de nous amarrer et de pique niquer tranquillement. La fin de journée et la nuit, se feront un peu en travers sur l’extrémité du port de Flogny. Une péniche habitée est collée devant le port empêchant l’accès pour une grande partie. Collée veut dire que son fond est au contact du fond du canal, et ce ne sera pas facile pour lui permettre de continuer sa route. C’est dire si l’eau est précieuse sur ce canal. C’est mon jet d’eau qui me sert de douche à l’arrivée, elle est très appréciée par cette forte chaleur. Un peu avant le port, j’ai vu la route qui longe le canal (de Tonnerre à Saint Florentin). De cette route que je regardais avec envie le canal en 1984 lorsque j’allais rejoindre mon hôtel à Saint Florentin. C’est l’un des trois endroits qui ont imprimés des images et des sensations dans mon cerveau pour me conduire à l’envie de la navigation fluviale.

Jeudi 19 juin 2003


Départ de Sens vers 9h00. Le ciel est couvert avec un peu d’air frais. Je suis bien. Passage des écluses inclinées n° 9 & 8, soit sur un ponton lorsqu’il existe, soit accroché sur le mur vertical derrière la porte aval. C’est parfois acrobatique, mais pas de problèmes majeur. Comme je ne râle pas, cela signifie je commence à être rodé avec ce genre de situations, jamais totalement prévisibles. Le paysage est très beau, plutôt plat, parfois à flanc de colline où l’Yonne vient s’appuyer avec nonchalance, pour faire ses belles sinuosités. À l’écluse 6, arrivée vers 12h20, soit 10 minutes avant la pause. Les éclusiers n’aiment pas ça parce que ça leur raccourci leur temps du repas. Mais quand je lui annonce que je souhaite déjeuner dans l’écluse, tout va mieux. Il me laisse au fond, et file à toute vitesse voir si son épouse est toujours aussi experte pour le bœuf mironton. De mon coté je fini un reste d’osso bucco préparé la veille. Je fais quelques bricoles, et me donne le temps d’une petite sieste. Au réveil, il est 13h28, l’éclusier ne va pas tarder. En fait il est déjà là, je discute avec lui et m’aperçois . . . que je suis en haut de l’écluse ! Dans mon sommeil je n’ai pas perçu le mouvement de montée ! Rencontre d’autres bateaux au port de Joigny. En particulier mes voisins de pontons, un couple de Fontainebleau qui terminent le Canal de Bourgogne. Ils me le décrivent comme une galère. Pas d’eau, berges cassées, beaucoup d’herbes aquatiques. De quoi casser le moral. Et bien, puisque c’est comme ça, demain je pars dans la galère. Non mais, je ne vais pas prendre la trouille alors qu’il ne me reste que 200 écluses à passer pour terminer le voyage !

Mercredi 18 juin 2003



Réveil ensoleillé à Montereau, préparation calme, puis départ sur l’Yonne. Belle rivière, large, le courant est sensible en montant. La découverte est que les écluses sont à bajoyers inclinés. Cela complique beaucoup l’amarrage des petits bateaux. Dans les premières, la présence d’un gros plaisancier belge me permet de me servir de son bateau comme ponton. À l’écluse de Vinneuf un tout petit ponton flottant existe pour les petits bateaux. Merci monsieur VNF. J’espère que cela va se reproduire pour les suivantes, mais à Villeperrot, seuls les rails du ponton existent. L’éclusier m’explique qu’un plaisancier a oublié de larguer ses amarres avant de partir, il a emporté le ponton. Quel étourdi ! Les relations avec les éclusiers sont polies, professionnelles mais sans chaleur. Pour eux la vraie navigation, c’est le commerce, pas ces plaisantins de plaisanciers. Les plaisanciers sont admis, sans plus. Petit à petit je rencontre moins de gros convois. J’ai maintenant hâte de retrouver le canal de Bourgogne afin d’être dans une dimension qui me convient mieux. Cette expérience voulue de voyage long est très prenante et très enrichissante pour l’esprit, même si, à chaque instant, ce n’est pas facile. La nuit à Sens se passe le long d’un quai engazonné. Pratiquement pas de bollards, alors je pose mes piquets. Pas d’électricité, pas d’eau. C’est presque une constante, les grandes villes dans leurs aménagements négligent leur voie d’eau. Elles semblent mépriser leur rivière en tant que surface de déplacement. Essayons d’imaginer une ville avec des rues, mais pas de parking ! Pour les élus, la navigation de plaisance dans leur ville pourrait être un atout, ils la négligent. C’est absurde.

Mardi 17 juin 2003




Réveil à 6h00 et départ à 7h00. Les bateaux sur lesquels j’étais accroché pour la nuit ne sont pas des touristes, ce sont des lève-tôt. Ils travaillent, eux ! Éclusage avec des bandes de gros. La balade est toujours tranquille et sinueuse. Je suis les contours et les détours de la Seine qui borde la forêt de Fontainebleau. Les arbres sont immenses. Quand la forêt dense s’estompe, c’est pour laisser place à de très belles résidences. Il est vrai que Paris est tout proche, en voiture et sans embouteillage. Il fait chaud, trop chaud. Passage de l’embranchement du loing. Peut-être que je repasserai là, par cette rivière, lors d’un autre voyage. Une station service au bord de l’eau c’est rare, alors je fais le plein. Une dernière écluse sur la Seine, celle de Varennes. Elle est très grande, et nous ne sommes que 4 petits plaisanciers nous devons ressembler à quatre petits globules dans ce bassin de palplanches. Arrivée à Montereau dans la jonction Seine Yonne. Une controverse existe, à savoir que, à la jonction, la symétrie des deux rivières est parfaite, et que l’Yonne a un débit plus élevé que la Seine. Cela étant, à la sortie de la confluence, le nom devrait être celui de l’Yonne et non celui de la Seine. Ce qui entraîne, bien sûr, que c’est l’Yonne qui coule à Paris et non la Seine. Mais essayez de chanter : « sous le pont Mirabeau coule l’Yonne . . . . » combien d’autres chansons seraient ainsi sacrifiées. Là encore ce qui est promis dans le guide Navicarte n’est pas tenu. Est-ce que les gens qui les rédigent naviguent de temps en temps ? Amarrage sur un ponton à coté d’un bateau belge. Zut et rezut, l’électricité ne fonctionne pas. Un pêcheur me dit que le câble est coupé et que la municipalité s’en fout ! L’autre ponton est fonctionnel, je déplace le bateau, les belges me suivent. Un gros bateau de location arrive avec à son bord un groupe de 6 germains mâles. Tous largement sexagénaires, abondamment nourris à la pomme de terre et à la bière. Le port est si bien conçu que chaque fois qu’un bateau passe, nous avons droit à un cours de danse chaloupée.

Lundi 16 juin 2003

Départ pour un retour.
Ce sera une très longue journée de navigation. Plus de 11 heures. Le ciel est au bleu fixe, nous rentrons dans une première vague de canicule. Je quitte le port de l’Arsenal avec un petit pincement au cœur, au moment de l’ouverture de la porte aval me donnant accès à la Seine, le haut parleur lance un tonitruant : « Au revoir Baladin, bonne route ». Merci encore à toute l’équipe pour leur gentillesse et leur professionnalisme. La sortie de Paris est calme, pendant quelques kilomètres nous sommes encore en zone urbanisée, c’est laid. Puis les arbres, la nature gagne la bataille du béton, je suis dans un élément qui me plait. Ce parcours de la Seine devient vite très beau. Souvent de belles propriétés sur les rives. Les maisons sont récentes, magnifiques. La Seine est encore large, les éclusages sont long parce qu’il y a un trafic important. Beaucoup de transport sur la Seine. J’arrive en vue de Melun en fin de journée, je ne trouve pas le ponton où je pensais passer la nuit. Cette ville m’apparaît triste, laide et sournoise. Par rapport à la ville, la prison sur l’île semble très accueillante, de l’extérieur bien sûr. Petits signes de la main avec les locataires qui doivent souffrir de la chaleur Je poursuis ma route. Je décide d’aller passer la nuit au ponton aval de l’écluse de la Cave. J’arrive, il est déjà 21 heures. L’immense ponton est au complet. Un ensemble de 4 barges en carré, 2 péniches attachées en ligne. Et une autre péniche. Oh ! Merde, que vais-je faire ? Un marinier me fait signe de venir, il prend ma corde avant et m’amarre sur son arrière, pendant ce temps le marinier de la péniche d’à coté me prend ma corde arrière et m’attache contre lui. C’est simple parfois. Deux couples de mariniers bien sympathiques, ils viennent prendre un verre, on parle de leur métier de ce que l’on aime. L’un fait du bateau pour ses loisirs, l’autre de la montagne. Merci les mariniers pour votre aide et pour ce moment partagé.

Du Lundi 9 juin au Dimanche 15 juin 2003

Retour en train, il y a des grèves, je fais le voyage assis par terre devant la porte du TGV. Après ce que je viens de vivre, je me fous de toutes les contraintes. Semaine en famille à la maison. J’arrive mal à me resituer, ma tête est restée sur le bateau. L’habitude de mouvement sous mes pieds fait que j’ai l’impression que la terre bouge. Le vendredi, samedi et dimanche, nous retrouvons notre bande d’amis pour notre rencontre annuelle. C’est notre 35ème année. Nous sommes à Plombières, à coté de Dijon. Visite à l’écluse de Plombières sur le canal de Bourgogne. Ça y est ma tête est repartie. C’est un grand bonheur d’être avec ces amis, d’être avec Annie, mais j’ai besoin de terminer ma boucle, et le chemin est encore long. Je prends le train Dijon Paris. Je suis tout le voyage sur des cartes, je repère l’endroit où la voie ferrée croise la voie d’eau. C’est là. On passe vite, trop vite. Image trop fugace. Bonheur de retrouver le bateau, sommeil.

Dimanche 8 juin 2003

Aujourd’hui, j’ai la visite de Suzanne et de Maurice. Ils arrivent sous un ciel noir, très chargé de nuages menaçants. La menace est mise en exécution dès leur arrivée et une pluie battante nous joue un air de tambourin avec une belle résonance. Mais ce temps fait des heureux dans le port. Une cannette et ses 9 canetons semblent parfaitement à l’aise sous le déluge. C’est souvent que j’ai la visite de cette petite famille. Le papa, trop vieux, est sans doute parti s’appuyer sur une autre cane. Mais à Paris comme ailleurs, après la pluie, vient le beau temps. Le capitaine du port nous prévient par radio que le feu est au vert, largage des amarres, on file. Le ciel gris ne nous perturbe pas du tout dans notre traversée souterraine, et dès la sortie, miracle le soleil est de retour. C’est amusant parce qu’à peine le soleil revenu les gens reviennent en nombre le long du canal et plus particulièrement aux écluses. Je retrouve la même tranquillité d’hier. À l’écluse 5&4, un éclusier distrait ou inexpérimenté (personnel du dimanche) ouvre d’emblée les 6 ventelles ce qui crée une pression terrible sur le bateau. La tension sur la corde est trop forte, je lâche la corde. Le Baladin fait demi tour comme si, contrarié, il voulait rentrer au port. L’éclusier ferme rapidement les ventelles, je lui dis quelques mots sévères, et nous remettons le bateau en place avec les cordes et avec un sourire un peu crispé. L’incident est clos, nous avons offert un spectacle insolite aux spectateurs, ils applaudissent, merci la foule. Le reste du voyage se poursuit dans le calme et la journée est très plaisante. Nous sommes bien tous les trois, nos bavardages sont entrecoupés de silences complices. Ils apprécient de sillonner Paris de cette manière, de découvrir autrement. Notre repas est pris au delà du grand bassin de la Villette, entre la Géode et le Zenith. Retour à trois bateaux par écluse, le Baladin amarré à couple sur un gros hollandais. Arrivée sereine au port de l’Arsenal. Comme nous n’avons pas envie de nous quitter, nous refaisons un pique-nique à bord. Suzanne & Maurice reprennent le chemin. Au lit car demain je repart par le train.

Samedi 7 juin 2003

Il me semble que chaque fois que j’ai entendu l’évocation du Canal saint Martin, j’ai eu envie de glisser dessus. Il est de ces lieux mythiques où l’on a envie d’être une fois dans sa vie. Cette première sortie sur le canal est faite en compagnie d’Olivier et de Cécile. Ils sont accompagnés de leur amie Olivia avec son petit bonhomme Valentin. Nous partons ensemble à la découverte de Paris sous un autre jour, dès que les éclusiers nous donnent le feu vert pour nous engager sous la voûte de la Bastille et du boulevard Richard Lenoir. La découverte sous un autre jour commence donc dans le noir. À la sortie, passage des écluses 7&8 avant d’arriver au pont tournant, puis la passerelle en grand arc en face de l’hôtel du Nord. Évocation du film du nom de l’hôtel, c’est vieux, mais c’est sans doute un des films qui traversera l’histoire. La passerelle est celle où Arletty dit dans sa gouaille et avec son accent inoubliable : « atmosphère, atmosphère, est-ce que j’ai une tête d’atmosphère ? ». Bien sûr il faut replacer ça dans le contexte du film. En réalité, le film a été tourné ailleurs, dans un décor reproduisant fidèlement de quartier. Mais chut ! Tout le monde ne le sait pas. Puis le passage des écluses 5&6 puis 4&3. La balade est douce, tout n’est qu’harmonie. Olivier maîtrise les amarrages au passage des écluses. J’admire sa capacité d’adaptation. Peut-être va-t-il me demander le bateau un de ces jours pour partir en vacances. Pourquoi pas ! Enfin l’écluse 2&1 où je retrouve l’éclusier avec qui j’avais discuté. Entrée dans le bassin de la Villette. Tout ce parcours est bordé de platanes et bien sûr des immeubles de la ville. On est très, très loin de l’atmosphère des bords de la Marne. Ce qui est charmant et amusant c’est la foule qui vient se promener le long du canal et regarder passer les bateaux. Cela m’est très agréable de penser que je leur apporte peut-être un peu de rêve. Je pilote avec beaucoup de fierté. Ce qui m’est encore plus agréable, est que ce bonheur est partagé avec Cécile et Olivier et leur amie. Et le petit Valentin qui s’écarquille les yeux à se faire une entorse aux muscles oculaires. L’immense rectangle du bassin de la Villette devient un lieu de bronzage, c’est Paris Plage avant l’heure. Petit repas gentil avec sa bouteille de rosé bien frais. Puis chacun trouve son coin pour la sieste. Les filles dans la cabine, Olivier sur le pont, le capitaine sur un muret à l’ombre bienfaisante d’un platane. Par radio, demande de la levée du pont de Crimée c’est rigolo de bloquer les autos et de passer à 5 kilomètres à l’heure devant eux. Passage devant le grand embranchement du canal de Saint Denis et entrée sur le début du canal de l’Ourcq. Si je reviens un jour en bateau à Paris, ce sera pour faire une balade sur ce canal. Tous les guides le décrivent comme un bijou. Il a été créé non seulement pour la navigation commerciale, mais pour apporter de l’eau pour nettoyer les rues de Paris. Puis retour par la succession d’écluses, toujours beaucoup de monde sur les berges. Cela nous permet d’échanger des sourires. Prête moi ton sourire, je te confie le mien. Mes trois passagers ont l’air très heureux de leur journée. Olivier me dit que c’était un pur moment de plaisir au cours duquel la tranquillité prime sur le temps et l’espace. Il a tout compris de ma démarche. Quand je disais, en blaguant avant le départ, je vais à Paris en bateaux pour voir ma fille, et bien c’est fait. Un petit coup de téléphone à la famille, chacun rentre à la maison je reste seul dans mon bateau, heureux. Je recommence demain.

Vendredi 6 juin 2003.



Balade et courses dans le quartier. J’ai déjà l’impression d’être un indigène. Retour par le jardin suspendu qui remplace l’ancienne ligne de chemin de fer de la Bastille. C’est petit, mais très bien fait. Repas rapide, puis avec un peu d’appréhension, passage de l’écluse et départ sur la Seine aval pour l’aventure. Pour l’aventure, c’est l’aventure ! Attente devant le feu rouge de régulation du pont de Sully un peu bousculé par les bateaux à passagers. Feu vert, c’est le rush. Les bateaux à passagers, les péniches simples, les péniches doubles, et le Baladin. C’est effrayant de se sentir petit et marginal. Un coup de barre à bâbord, un coup de barre à tribord et on enchaîne. Je passe l’île Saint Louis et l’île de la Cité en me faufilant entre les gros. Les pilotes des bateaux bus et autres bateaux de tourisme ont une attitude dégueulasse pour les petits bateaux. C’est des cons ! Mais le spectacle est grandiose. C’est super ! Ce qui est magnifique du quai, prend une dimension différente, amplifiée. La présence et le mouvement de l’eau change la vision et surtout la perception de cet environnement. Mes yeux sont écarquillés, il regardent le décor et surveillent très attentivement la trajectoire. Deux activité de nature différente te pas très compatibles. Après le pont de Iéna (tour Eiffel), le tourisme s’arrête là, donc le calme est revenu. Je continue la balade pour raisonner mon cerveau gauche et calmer les émotions de mon cerveau droit. Je file jusqu’à Boulogne, j’ai fini Ma traversée de Paris. Retour. Au passage du pont de Iéna, je retrouve la guerre des flots. Je n’ai pas vraiment eu peur, mais souvent j’ai été inquiet et toujours très attentif. Passage de l’écluse et retour au port. C’est bon le calme. Au retour, même un bateau de police s’est amusé à me faire danser la salsa sur l’eau. C’est un beau baptême. À refaire . . . . . enfin peut-être.

lundi 17 décembre 2007

Jeudi 5 juin.



Courses le matin dans le quartier. Préparation du repas, Suzanne vient me rendre visite. Elle arrive à 13h00, bloquée à cause d’une manif dans le métro. Apéritif et repas bavard sur la terrasse du Baladin. Nous sommes bien. Avec elle je peux échanger autres choses que des banalités, elle a une écoute agréable et une vision des choses toujours intéressante. Après son départ, je passe des idées aux réalités, puisque Conchita a pris son congé, je fais la vaisselle à la main. Après midi, descente en Seine pour aller faire le plein. Le Capitaine du port m’explique que c’est simple, il suffit d’aller vers la péniche CHER en face du Ministère du Fric. Je passe l’écluse, je vais sur la Seine, je ne vois pas LA péniche. Je repasse, je ne vois pas LA péniche. J’ai la berlue ou je suis fada ? Enfin j’aperçois un petit bateau avec des pompes caché derrière le gros qu’il est en train de remplir. Ça y est, je l’ai trouvé. Bon maintenant comment vais-je faire ? Et cette putain de Seine qui n’arrête pas de me faire danser ! Je m’amarre sur le gros. Je gueule un grand coup pour manifester ma présence. Un Hollandais parlant français (espèce en voie de disparition) me dit : pas de problème, j’écarte mon arrière et tu te met entre les deux. Ouille, comment vais-je faire ? Pendant que je recule, il écarte son arrière et je me glisse entre les deux. C’est impressionnant de se sentir tout petit. Je me retrouve en sandwich entre les deux gros. Avec l’impression d’être le cornichon du sandwich. Petit plein, avec du rose. J’ai l’impression de très peu consommer. Le rose c’est moitié moins cher, ça marche aussi bien, mais c’est illégal. Mais je n’ai pas le choix, il n’y a que ça. Retour au port, écluse, amarrage, salut les voisins. Repas léger pour compenser le festin de midi. Téléphone à la maison, Navarro à la télé, puis bonne nuit les papys !

Mercredi 4 juin 2003



L’heure du lever est aujourd’hui plus raisonnable. 8h00. pharmacie, puis téléphone : Suzanne ne viendra que demain. Donc pas de courses, changement de cap. Je bifurque, direction métro. Sortie Marcadet au nord de Montmartre. Balade dans les rues en escaliers rue Custine, rue des Saules, rue Saint Vincent. Peu de personnes les touristes s’entassent de l’autre coté. Appel d’Annie, longue discussion en regardant la vigne. Je sais qu’elle aussi aime cet endroit. Quelques tours de la place du Tertre, arrêt pour une assiette de moules frites, spécialité locale. Puis descente en zigzag par les petites rues jusqu’à Pigalle. Métro pour rentrer. Passage aérien. Oh ! Mais c’est le bassin de la Villette ! Station du métro, je saute. Je file vers l’écluse 1-2, longue discussion avec l’éclusier, puis avec son chef. Comme de vieux amis, nous nous racontons des histoires de canal, de navigation et de beaujolais. Retour à pied le long du canal, l’ambiance y est très agréable. Discussion avec des personnes âgées (enfin plus âgées que moi !) elles me parlent de leur caniche qui se fait vieux, moi de ma Julie que j’ai laissée dans ma campagne. Le trajet est long. J’arrive fatigué, mais bien. J’attends mon coup de fil du soir.

Mardi 3 juin 2003




Lorsque l’on se couche tard, on se lève tard. Premier réveil, il est 7h30, ce n’est pas raisonnable. Second du réveil, il est 11h10, je suis vacant. Enfin je me sens vacant. C‘est bien la définition liée au mot vacances. C'est-à-dire être disponible, même à ne rien faire. Excellent bol de riz à midi, il faut bien compenser les excès de Riesling d’hier soir. Musique douce à bord, Mouskouri, Lemay. C’est bon la musique et les belles voix, lorsqu’elles ont des choses gentilles et douces à dire. Je suis romantique ce matin. Je suis seul, mais est-ce vraiment la solitude ? La solitude douloureuse, c’est peut-être seulement lorsqu’on n’est plus présent avec soi-même. L’après midi je vais prendre le métro pour aller dans le centre de Paris. Étrange, le ticket ne fait pas fonctionner la porte. Bon, ça va j’ai compris. J’ai vaguement entendu à la radio ce matin qu’il y a une grève. Il parait qu’ils ont des revendications pour la retraite. C’est quoi la retraite ? C’est comme les Anglais : se mettre en retirement. Oui, c’est bien ça : je suis retiré en retrait dans un coin du port de l’Arsenal. Sur ces considérations, le temps devient maussade, et je change de projet. Je vais en face au jardin des plantes. Visite des parterres, discussion avec deux vielles dames sur la beauté des roses. Puis visite d’une exposition qui n’a pas succombée à la fermeture du mardi. La vie du Sahara, les minéraux, les végétaux, les animaux, les personnes. C’est bien fait. Je pense à Marianne qui nous montré des photos de cette région. Elle m’a donné envie d’aller là bas. Mais il paraît que le système de navigation fluvial y est très réduit. Montée vers le belvédère du jardin. Exposition de plusieurs collections de fuchsias en mi-ombre. Dommage qu’Annie ne soit pas là, elle aurait craquer et eu beaucoup de plaisir à les regarder. Je fais quelques photos pour elle. Mal au dos, le paracétamol n’a pas d’effet, je rentre me reposer. Téléphone du soir, soupape de vie et de sécurité. Potage, bonsoir.

Lundi 2 juin 2003





Le but est atteint, alors grasse matinée à bord. Rien ne presse. Un petit peu de rangement dans les affaires, même si ce n’est pas vraiment le désordre, cela me permet de savoir où j’en suis du linge et des réserves. Déjeuner à bord, puis la sieste. C’est les vacances pendant les vacances ! Balade pédestre l’après midi vers les îles de la Seine, puis vers le quartier du marais. Je réalise que pour moi Paris est tout petit, car, lors de mes nombreuses visites, je vais presque toujours aux mêmes endroits. Il faut maintenant faire des courses, car ce soir j’ai des invités à bord. Je négocie avec le Capitaine une place de parking sur le port, en face de mon yacht. Cécile et Olivier arrivent avec un grand sourire. Nous sommes tous trois très heureux de nous retrouver. J’ai tenu ma promesse : venir leur rendre visite en bateau ! Ils étaient le but de mon voyage, enfin celui que j’avouai le plus facilement. Au menu, macédoine dans son panier de tomates et son jambon de Paris (spécialité locale), haricots vert d’un jardin, fromages, tartelettes, large choix de tisanes. Cela me fait un doux plaisir de les voir partager avec moi ce moment d’exception. Ils sont beaux. Promenade vers le bord de l’écluse. J’étale ma connaissance marinière comme d’autres la confiture de myrtilles. Puis en bordure de Seine, en face de la bibliothèque à François. Cécile à peur, elle a raison, au bord de l’eau, le passage du plaisir au drame peut être instantané. Visite du port. Il est tard, ils doivent rentrer, c’est le départ. Je suis triste est heureux. Je n’ai pas sommeil, je vais marcher plus d’une heure vers la rue de Lyon. Je me perds, puis je rentre, je dors, je suis bien. Nous avons téléphoné ensemble à Annie, elle me manque, j’aimerai bien partager ces moments. En a-t-elle envie ?

Dimanche 1er juin 2003




Dernière étape. Elle sera courte. Je flemmarde au port, quelques photos puis départ vers 10h00. Il fait très beau et c’est Dimanche au bord de l’eau comme le dit la chanson. Dans ce lieu je me sent complètement imprégné par des tas de chansonnettes. Bien sûr les canoës et les avirons sont nombreux. C’est un vrai plaisir de naviguer avec eux, même si certains ne sont pas très respectueux pour mon yacht. Passage le long de l’île Fanac, haut lieu de guinguettes et repaire pour les amoureux et les voyous. Le feu est au vert, je rentre directement dans le tunnel de Saint Maur, à la sortie, un bateau sort de l’écluse. Chance, pas de perte de temps pour cette écluse réputée longue à passer. Certaines mauvaises langues racontent sur les pontons, que l’éclusier aime faire attendre les plaisanciers. Puis de nouveau la Marne plus calme que jamais. La ville est très présente. Passage de l’écluse de Saint Maurice qui signe l’arrivée sur la Seine. Je laisse sortir une péniche, un salut à l’éclusier qui me remet une notice de sécurité pour la navigation sur la Seine. Je croise un TGV qui viens sans doute de Lyon lui aussi. Ses passagers sont partis depuis 2 heures, moi depuis 3 semaines, nous n’avons pas eu les mêmes bonheurs. Sont-ils en train de rédiger l’histoire de leur voyage ? L’hôtel chinois avec son toit reconnaissable marque la jonction de la Marne et de la Seine. Dans un
même instant, j’ai une forte émotion de tristesse en quittant cette rivière et un bonheur immense de me trouver sur la Seine. C’est grand, ça bouge, ce n’est plus pareil. Passage du pont sous le périphérique : je suis à Paris. J’ai envie de le crier. Comme je ne peux pas laisser ce moment de bonheur sans partage, j’appelle Annie. Comme c’est dommage qu’elle n’aime pas beaucoup naviguer. Je longe la rive droite, beaucoup de bronzage en cours sur les berges bétonnées. Pont de Tolbiac, Pont de Bercy, Pont d’Austerlitz, 20 minutes d’attente sur un ponton. Un bateau sort de l’écluse du port de l’Arsenal. Je rentre derrière elle, j’attends l’éclusage, ému. Beaucoup de personnes regardent. Au début, j’ai cru que c’était pour moi, mais c’est le Baladin qui a du succès. C’est vrai qu’il est beau mon bateau ! Le bateau ça fait rêver les gens. Ils ne se doutent pas que moi je suis en train de finir un rêve. Quai d’attente, puis place n° 15, une partie de l’aventure est finie. Beaucoup d’émotion, beaucoup de bonheur, vite le téléphone avec la famille. Il faut absolument partager ces moments heureux, sinon on implose. Discussion sympathique avec Bruno l’éclusier et avec d’autres loups de rivière. Balade en ville après le déjeuner. J’ai peur. Trop de monde, trop de bruit, trop de dangers, trop de trop. Je rentre. Quelques marches pour descendre dans le jardin du port, tout se calme, je ne suis plus sur la même planète. Ici les gens que je rencontre me disent Bonjour, me sourient, pourquoi ?

Samedi 31 mai 2003



Matin tranquille. Réveil par le bruit des oiseaux, des canards et des avions. Ce sont les trois principaux volatiles de la région. J’approche de la ville ! à la sortie du port deux pont sur la Marne me dessinent une succession de cercle et d’ellipses avec leur reflet dans l’eau tendue comme un miroir. La rivière est belle, calme. Je n’ai jamais navigué sur un nuage, mais cela ne doit pas être plus doux. Au détour d’un méandre, le béton apparaît. C’est l’arrivée sur Meaux. On s’échappe de la ville en entrant sur le canal de Chalifert par une écluse qui monte le bateau de 37 centimètres. Ce canal est étroit, dans une région très boisée. Un petit appontement à Ebly me permet de me faire une petite restauration à ma façon, et bien sûr une petite sieste très confortable. Le ciel est très chaud et la route reprend avec une alternance d’ombre et de lumière. Puis c’est l’arrivée vers la fin du canal avec une belle succession d’écluse, tunnel, écluse. Cet endroit est magnifiquement champêtre et romantique. Un détail, quand on lève la tête, on est sous un grand viaduc du RER. Disney est à peine à 2 kilomètres à vol d’oiseaux. Je les laisse y aller seuls. Ont-ils conscience que la beauté est en dessous et non au bout de leur chemin ? Retour à la Marne, maintenant dans la grande banlieue parisienne. Samedi + soleil = beaucoup de monde sur les berges. J’apprécie cette alternance de solitude et de partage avec d’autres de cette sérénité dans un paysage idéal pour le repos du corps et de l’esprit. Déjà il faut quitter de nouveau la Marne, à Vaires sur Marne c’est l’entrée sur le canal de Chelles, long couloir à la végétation répétitive. Je ai trouvé ces 12 kilomètres hostiles et emmerdants. Il mérite la mention « peu mieux faire » pour les VNF, ce n’est pas une réussite touristique. Mais le bonheur, c’est le retour en Marne avec maintenant une intense activité, zone de scooters aquatiques qui me taquinent et plus loin beaucoup de rameurs. J’entends leurs muscles se contracter et se détendre. Quelle énergie ! Et puis voilà le début de la fin du voyage puisque je suis dans la VILLE entre Bry sur Marne et Neuilly sur Marne. À regarder les propriétés sur les berges, ce n’est pas ici que je rencontrerai la misère des banlieues parisiennes. Navigation le long de l’île d’amour. Quel joli nom ! J’aimerai avoir pour adresse 13, rue de la tendresse sur l’île d’amour. Mais l’île suivante s’appelle l’île aux loups, évidement moins romantique. Le port de plaisance est tout de suite là, il est immense, je cherche une place. J’ai droit à la place n° 28 après négociation et je me fais tout de suite de nouveaux amis qui me donne un coup de main pour amarrer et avec qui je bois l’apéritif en échangeant nos points de vue, nos passions, et beaucoup de bonheur d’être sur l’eau. L’eau est bien l’endroit le plus fluide de la terre. Douche, tenue décente et je pars à la conquête des guinguettes. C’était un phantasme, de ceux que j’ose avouer. La trop forte chaleur de ces derniers jours se transforme en orage et quelques premières gouttes insistantes viennent à ma rencontre alors que j’arrive au Petit Robinson. C’est la guinguette juste avant chez Gègène à Joinville le Pont. Pon pon tous deux nous irons. . . . .Comme dit la chanson. Mais moi je suis seul, dommage, Annie aurai apprécié. Mais les serveurs du Petit Robinson paniquent totalement. Sont-ce que quelques gouttes ou vraiment la grosse pluie ? Leur service est déjà commencé sur la terrasse en bord de rivière. La question : « doit-on faire rentrer tout le monde ? » se lit sur leurs regards hagards. Je suis là, avec mon inconscience habituelle, surpris qu’il n’y ait pas de place. En fait, nous sommes Samedi soir et il faisait très beau aujourd’hui. Mais finalement avec un peu de patience, tout s’arrange et je fais un super repas entrecoupé d’un appel de Jean-Marc qui vient vérifier si mes conditions de vie ne sont pas trop difficiles. Il raccroche rassuré. Je bavarde avec un jeune couple un moment, je les accompagne au bal associé au restaurant. Mais je préfère rentrer me coucher car demain c’est la finale. Retour pédestre au port pour la nuit. La couchette est de plus en plus dure pour mon vieux dos.

Vendredi 30 mai 2003



Nuit tranquille sur le ponton un peu rustique de Château Thierry. Le matin, marché aux légumes, viande, poisson, de quoi remplir le réfrigérateur pour quelques jours. Départ vers 9h, puis descente tranquille de la Marne. L’envie est forte de réduire encore plus la vitesse pour faire durer ces instants. La rivière paresse en de larges boucles. Un moment au nord, à l’est, à l’ouest, on essaie tous les points cardinaux. Cela permet de vérifier que le compas du bord est en état de fonctionnement normal. Rencontre de quelques bateaux habités, d’autres bateaux plus petits profitent du pont pour passer dessous. Déjeuner au ponton d’attente de l’écluse de Couraton sous un brûlant soleil de canicule. Le soir arrêt au port privé de Poincy. Long bavardage avec le gardien de ce port très sympathique. Une grande pelouse et beaucoup de canards très familiers. Coin, coin. Depuis je parle le canard couramment. En fait il n’y a qu’un mot à retenir, le sens n’est q’une affaire d’intonation. Discussion avec mes voisins de ponton qui ont une vielle pénichette. Avec leurs deux enfants, ils bricolent et sont là parfaitement heureux de leur résidence secondaire, même si elle est par endroits un peu délabrée. En personnes expérimentées, ils me donnent des conseils car ils ont vite détecté en moi un novice de la marine fluviale.

Jeudi 29 mai 2003



Pour cette journée de l’Ascension, je continue la descente vers Paris. 18 Km sur la fin du canal latéral. Les écluses automatiques fonctionnent très bien. Merci aux techniciens de ce secteur des VNF. Ce qui signifie que le pilote est plus calme et a appris à mieux maîtriser le système. Ah ! Comme tout va bien quand le processus est sous contrôle. Et puis l’écluse de Dizy s’ouvre. Miracle, c’est la Marne, une rivière de rêve. Tant de poètes sont venus y chercher l’inspiration. Traversée de la Champagne avec ses collines vinicoles. Les villages ne reflètent pas particulièrement la misère sur l’eau calme de la Marne. Accueil par le technicien à l’écluse n°1 pour expliquer et prêter le badge qui commande l’automatisme des écluses de la Marne. Déjeuner en cours de route, au fil de l’eau, je n’ai pas envie d’arrêter ce plaisir de me laisser glisser sur l’eau sous un beau soleil, c’est magique. Beaucoup de pêcheurs, slalom entre les cannes à pêche. Certains pêcheurs apprécient que je ralentisse à leur rencontre, d’autres continuent à faire la gueule, ils ressemblent à la carpe farcie qu’ils ont ratée la semaine dernière. Arrivée vers 17h à Château Thierry. Discussion avec un pêcheur de brochets et de sandres, il me dit qu’il en prend des gros comme ça. Je ne sais pas si c’est vrai, car dans ce pays, ils sont très affabulateurs. Belle balade en ville, puis soirée tranquille et reposante sur le Baladin.

Mercredi 28 mai 2003



Bonne journée de navigation sans pause à midi, la salade + radis + jambon a été préparée en route. Sans doute un reste de souci de productivité. En fait cela signifie seulement que je suis bien dans le mouvement tranquille du bateau. Départ de Vitry vers 8h15, mais une péniche est juste devant. Je la laisse écluser et la suis à très petite vitesse. Puis elle m’appelle par VHF 10 pour me dire que je peux la trépasser après l’écluse suivante. Le dépassement dure plus de 5 minutes. C’est sympathique et plutôt rare, merci le marinier. Je suis maintenant sur le canal latéral à la Marne. Le décor a changé, c’est la plaine avec beaucoup d’arbres le long du canal sans que ceux-ci soient strictement alignés comme on voit souvent. En bordure d’un village une douzaine de bouteilles de champagne
vides flottent le goulot en l’air. J’imagine la fête d’hier au soir. Sans doute un arrosage de gosiers champenois. Traversée rapide et belle de Châlons en champagne. Discussion avec le régulateur qui râle parce qu’il faut travailler pour l’ascension. Les 11 écluses d’aujourd’hui étaient automatiques, une seule à eu un défaut de fonctionnement vite. réglé grâce au téléphone portable. Arrivée à 17h à Condé sur Marne avec un port confortable. Deux gros bateaux anglais peu communicatifs pour voisins. 19h arrivée de la péniche « Roquette » qui m’a laissé passer ce matin. Aide au marinier pour passer son câble afin de s’amarrer pour la nuit. Il vient de Nancy et va à Dunkerque avec 250 tonnes de carbonate de calcium pour la cristallerie d’Arque. (J’espère que ce n’est pas de la cocaïne !) Il représente à lui seul 10 semi remorques et il pilote seul les 38m50 de sa péniche Freycinet.